Le danger des téléphones portables au bord des bassins : enjeux juridiques et responsabilité

L’utilisation des téléphones mobiles au bord des piscines, surtout pendant les heures de surveillance, peut sembler anodine — un simple geste du quotidien. Toutefois, cette “banale” distraction est susceptible de compromettre gravement la sécurité des usagers. En réalité, elle engage des responsabilités multiples — pénales, civiles et disciplinaires — pour le surveillant, l’exploitant de l’établissement et, plus largement, l’ensemble des acteurs chargés de la sécurité aquatique.

1. Le contexte juridique de la surveillance des piscines

1.1 Obligation de surveillance pour les piscines à accès payant

Le Code du sport dispose clairement que « toute baignade et piscine d’accès payant doit, pendant les heures d’ouverture au public, être surveillée d’une façon constante par du personnel qualifié titulaire d’un diplôme délivré par l’État » (art. L. 322-7).

Si cette obligation est bien établie pour les établissements payants, elle ne s’applique pas mécaniquement à toutes les piscines. Certaines piscines privées ou à usage spécifique peuvent relever d’un régime différent selon les contrats conclus, ou être exemptées de l’obligation de surveillance si elles ne sont pas soumises à un accès “public” au sens strict.

1.2 Les diplômes et conditions de surveillance

Les textes définissent aussi les qualifications requises (tels que le maître-nageur sauveteur ou le BNSSA dans certains cas) pour assurer cette surveillance.

De plus, dans les piscines payantes, l’exploitant doit instaurer un Plan d’Organisation de la Surveillance et des Secours (POSS) afin d’organiser la disposition du personnel, les équipements et les réponses en cas d’accident.

2. L’usage du téléphone pendant la surveillance : une intrusion dangereuse

2.1 Une distraction incompatible avec l’obligation de vigilance

Lorsque le surveillant d’une piscine utilise son téléphone — qu’il s’agisse d’appels, de SMS, de navigation — il détourne de manière significative son attention de la mission essentielle de prévention des noyades. Ce comportement, même s’il ne dure que quelques instants, constitue une captation volontaire de l’attention incompatible avec une surveillance active.

C’est précisément cette altération de la vigilance qui explique que la pratique du téléphone dans ce contexte ne puisse être tolérée juridiquement. En détournant l’attention, l’utilisateur du téléphone commet une faute dans l’exécution de son obligation professionnelle — faute d’inattention, négligence ou imprudence — et expose les usagers à un risque accru.

2.2 La concurrence entre deux obligations : surveiller ou téléphoner ?

Le risque majeur est que, dès lors qu’un surveillant tente d’exercer simultanément deux activités — surveiller et téléphoner — la surveillance est nécessairement déficiente. Dans cette perspective, l’utilisation d’un téléphone personnel en plein service constitue une violation des obligations légales et professionnelles.

Par ailleurs, dans le cas où un accident — blessure grave ou décès — surviendrait pendant une période où un appel est en cours, ce fait pourrait être retenu comme constituant non seulement une imprudence, mais une violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.

3. Le régime pénal applicable : homicide et blessures involontaires

3.1 Principes et peines de l’homicide involontaire

Le Code pénal, article 221-6, dispose que le fait de causer la mort d’autrui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement constitue un homicide involontaire, puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. En cas de manquement « manifestement délibéré » à une obligation particulière, les peines peuvent être portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.

De même, pour les blessures ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à trois mois, l’article 222-19 peut être mobilisé, diminuant les peines mais maintenant une gravité élevée.

Dans le cadre de l’homicide involontaire, la faute n’a pas besoin d’être la cause exclusive et directe du décès, pourvu qu’elle ait contribué de façon significative à l’accident.

3.2 Application au contexte de la surveillance aquatique

Si un surveillant téléphone alors qu’il est censé assurer la sécurité des baigneurs, cela peut être considéré comme une faute caractérisée : l’appel détourne son attention, et cette distraction peut être qualifiée d’imprudence, de négligence ou de manquement à ses obligations. Dans un cadre de responsabilité aggravée, le caractère « manifestement délibéré » pourrait être retenu si le surveillant savait ou devait savoir que son usage du portable était incompatible avec la mission.

Ainsi, en cas de noyade survenue pendant un appel, l’auteur pourrait être poursuivi pour homicide involontaire aggravé, avec des peines plus lourdes qu’en cas de simple faute « ordinaire ».

3.3 Responsabilité civile et disciplinaire

Au-delà de la sanction pénale, la victime ou ses ayants droit pourront engager la responsabilité civile du surveillant ou de l’exploitant pour obtenir des dommages et intérêts. Enfin, sur le plan professionnel, le surveillant peut faire l’objet de sanctions disciplinaires — avertissement, suspension, voire révocation — en fonction de la gravité de la faute commise.

4. Cas hors des piscines payantes : surveillance de groupes, piscines privées

Lorsque la piscine n’est pas exploitée selon un schéma “public / payant”, les obligations issues du Code du sport peuvent ne pas s’appliquer directement. Toutefois, le surveillant et l’organisateur restent tenus d’une obligation générale de sécurité dans le cadre de leur prestation contractuelle ou de leur mission.

Si un groupe (association, colonie, club) utilise une piscine, les engagements contractuels conclus avec le surveillant ou le prestataire de surveillance détermineront la nature des obligations. Si, dans ce cadre, le surveillant téléphone au moment d’un accident, la faute contractuelle (manquement à l’engagement de sécurité) pourra être invoquée, avec, selon les cas, possibilité d’engager la responsabilité pénale pour homicide ou blessures involontaires, mais dans une amplitude de peine souvent moins élevée (sans l’aggravation spécifique du régime du code du sport).

5. L’usage légitime du téléphone : secours et fourniture par l’exploitant

Un seul cas d’usage du téléphone par le surveillant pourrait être admis : appeler les secours en situation d’urgence. Cela dit, ce téléphone doit être un équipement mis à disposition par l’exploitant, non l’appareil personnel du surveillant. Il appartient à l’exploitant de définir les modalités d’installation, d’entretien et de fonctionnement de cet équipement, en veillant à ce qu’il ne serve pas à des communications personnelles.

Quant au téléphone personnel, il doit être mis à l’écart (vestiaire, boîte fermée hors de portée pendant la surveillance). Maintenir l’appareil sous la main expose à la tentation de l’utiliser, d’autant plus en cas de message ou d’appel entrant.

6. Prévention, formation et tolérance zéro

Pour éviter les dérives, plusieurs mesures sont essentielles :

  1. Formation juridique : tous les surveillants doivent connaître les textes du Code du sport, du Code pénal et les conséquences de leurs manquements.

  2. Réglementation interne stricte : l’employeur doit prévoir dans le règlement intérieur ou le contrat de travail une interdiction claire d’utilisation du téléphone en service, assortie de sanctions disciplinaires.

  3. Rappels de la conscience professionnelle : insister sur le fait que téléphoner au moment de la surveillance est un comportement professionnel suicidaire.

  4. Responsabilisation des chefs de bassin : encourager la remontée de signalement d’usage inapproprié du téléphone, afin d’éviter toute complicité ou co-responsabilité.

  5. Tolérance zéro : interdire totalement tout usage sauf en cas d’urgence connectée à la mission de surveillance.

Conclusion

L’usage du téléphone portable au moment de la surveillance d’une piscine n’est pas seulement un manque de professionnalisme — c’est un comportement explicitement incompatible avec les obligations de sécurité, qui engage la responsabilité pénale, civile et disciplinaire. En pratique, le surveillant doit se consacrer exclusivement à sa mission : surveiller, intervenir, prévenir.

Dès qu’un appel ou message interfère avec cette fonction, il ouvre la porte aux sanctions les plus sévères. La seule posture raisonnable est donc une tolérance zéro en matière d’usage du téléphone durant les heures de surveillance.